Les chaises et le bagne

Un essai sur deux pièces de théâtre

Par hasard, j'ai vu deux pièces de théâtre hors du commun dans une semaine. Ça invite la comparaison. La une, « Les chaises » de Eugène Ionesco, se produisait dans un petit théâtre avec environ 25 spectateurs; l'autre, « Le bagne » de Jean Genet, était dans la grande salle avec un publique de peut-être 200 personnes. L'une a été joué assez souvent depuis sa création en 1952, l'autre, commencée autour de 1940, inachevée et encore jamais jouée, jusqu'à cette semaine-là. Mais ça, evidemment, ce ne sont que des differences superficielles.

Les chaises

Commençons avec « Les chaises ». Ionesco (1913-1994) l'a écrit en 1952 et c'est aussi l'année de sa première. La pièce comprend trois personnages (et une foule de gens invisibles) et une seule acte. Ionesco l'a soustitrée « farce tragique », ce qui la place immédiatement dans la tradition de l'absurdisme, qui a commencé avec « La cantatrice chauve » du même Ionesco en 1950.

Dans la pièce, un vieux couple reçoit des dizaines d'invités, tous des « propriétaires et des savants », qu'ils ont invités pour ecouter leur message, leur philosophie. Comme le Vieux a « beaucoup de talent » (dixit la Vieille), mais « pas de facilité » (dixit le Vieux), ils on invité un Orateur, qui va expliquer leur philosophie a leur place. Quand l'Orateur arrive, le vieux couple se suicide, leur mission remplis, leur message va enfin être entendu. Mais tous les chaises sont vides, les invités sont invisibles. L'Orateur, quand à lui, est bien réel. Il commence a parler, mais il est sourd-muet et ne fait que quelques sons inintelligibles.

La répresentation à laquel j'ai assisté était celle du 2 mai 2004, au théâtre Antibea à Antibes. La mise en scène était de Anca Ovanez-Dorosenco, la scénographie de Georges Dorosenco. Et les comédiens était Serge Morisso (Le Vieux), Agnès Croutelle (La Vieille) et Daniel Micalef (L'Orateur). L'orateur n'a qu'un petit rôle dans la pièce, et ici son rôle était encore réduit, par manque de place sur la scène. Les deux autres étaient très bons. Malgré l'absurdité de leur comportement, c'était facile de les suivre dans le developpement de l'intrige.

Le théâtre Antibea est petit. Il y a de la place pour une soixantaine de spectateurs et cet après-midi il y en avait moins de la moitié. La scène aussi est petite. Trop petite pour le decor prevu par Ionesco et decrit dans le livre (Collection Folio, Éditions Galimard, 2004): un demi-circle avec dix portes, deux fenêtres avec escabeau, un tableau noir, et 35 chaises. Dans la mise en scène de Doresenco, il n'y avait que 16 chaises, et deux murets avec escabeau, en guise de mur et fenêtre à la fois.

La réduction du décor était due à la taille de la scène. Mais une autre modification ne l'était pas: les quatre premiers invités qui arrivaient, des vieux connaissances du couple, n'etaient pas vraiment invisibles, puisqu'ils étaient répresentés par des poupées. Sans doute c'etaient plus facile de jouer avec des poupées qu'avec des personnages invisibles, surtout s'il s'agit de faire croire au publique que ces personnages flirtaient l'un avec l'autre. Mais visuellement c'était peut-être moins fort.

Le bagne

« Le bagne » de Jean Genet (1910-1986) est une pièce encore jamais jouée, avant que Antoine Bourseiller ne l'a mise en scène pour le Théâtre de Nice et le Théâtre de la Ville de Luxembourg. La pièce est d'ailleurs inachevée, bien que Genet a travaillé quinze ans dessus, jusqu'en 1952. La première éditions etait après sa mort, en 1994.

Jamais jouée? Le C.V. de Yann Burlot dit qu'il a joué un rôle dans cette pièce en 1998, à Montpellier. Peut-être qu'Antoine Bourseiller n'a pu compter que les répresentations par des professionels.

« Le bagne » est joué par une quinzaine d'acteurs, tous des hommes: les prisonniers du bagne, les gardiens, leur directeur et un aumonier. Tout se passe pendant trois jours et deux nuits. En fait, il ne se passe pas grande chose et il n'est meme pas clair si ce sont vraiment trois jours, ou simplement des moment dans la longue vie du bagne, qui parfois se passent le jour, parfois la nuit: un nouveau prisonnier arrive, un gardien meurt, les prisonniers s'echange des bouts de cigarettes, la guillotine est nettoyé, mais rien et personne ne change, rien ne se developpe. C'est plutôt que les acteurs, chacun a son tour, declament un texte, poétique parfois, sauf que le vocabulaire est rempli d'argot. Ce qui rend la comprehension parfois difficile. Les thêmes les plus apparentes sont l'hierarchie, bati sur la cruauté et des petites faveurs; et l'homosexualité. Comme dans le dialogue du soleil et de la lune, declamé par deux gardiens (mâles, évidemment), dans lequel la lune dit qu'elle represente toute la féminité absente dans le prison.

Le decor était un mur avec une face noir et une face blanc, qui pouvait tourner pour representer soit l'interieur des cellules (noir) ou l'exterieur (blanc), et qui aussi servait comme tour pour les gardiens qui montent la garde pendant la nuit. Tourné a moitié, avec le côté etroit vers le publique, il servait comme décor pour le dialogue du soleil et de la lune, qui se passait ansi entre le noir et le blanc, ou entre le jour et la nuit.

Je l'ai vu a Nice, le 7 mai 2004, dans la Salle Pierre Brasseur (la grande salle rouge) du Théâtre de Nice. La mise en scène était, comme dit cidessus, d'Antoine Bourseiller, qui connaissait Jean Genet bien.

Les personnages ne sont que des caricatures. Il n'y a aucun qui est l'héros de la pièce. Personne ne fait rien de bon, tous basent leurs actes sur le calcul. Il n'y a d'ailleurs pas beaucoup d'interaction entre les personnages. Chacun a son moment ou il dit son texte. Parfois l'interlocuteur de celui qui parle est caché par le mur et, caché ou pas, il ne dit rien en réponse.

Les thèmes

Les thèmes des deux pièces n'ont pas beaucoup en commun. Chez Ionesco, on voit surtout la communication, soit ratée, soit ritualisée. Il y a aussi la vieillesse, qui a des points commun avec l'enfance. Genet, quand à lui, parle de l'homosexualité, qui n'est pas vraiment de l'amour dans ce cas, mais une manière de satisfaire les besoins et de payer sa place. La hierarchie, même entre les prisonniers, est une autre thème. Chacun garde sa place avec des faveurs vers le haut et de la cruauté vers le bas. Seul point commun entre Les chaises et Le bagne: l'importance de la langue. Meme si les mots sont très differents chez les deux auteurs, ils ont en commun que leur

La communication entre le Vieux et la Vieille est composées de phrases et demi-phrases, qu'ils se sont dit déjà des centaines de fois. Le Vieux dit même qu'ils sont repetées chaque soir. Ils n'ont plus besoin de finir les phrases, ils connaissent déjà l'histoire derrière les mots. Comme, par example, cet histoire qui commence avec « On a ri.. », et qui veut dire en même temps « on a rit » et « on arriva ». La première une histoire apparemment drôle, parce qu'elle fait rire les deux vieux, la seconde une histoire triste, avec un tres beau jardin ou ils ne pouvaient pas entrer et une ville, Paris, qui n'existe plus.

Bert Bos
Créé mai 2004